Si les grands films parviennent Ă traverser les gĂ©nĂ©rations, câest souvent parce quâil existe en eux une complexitĂ© parfois imperceptible au premier regard. De lâesthĂ©tique du clair-obscur dans La Nuit du chasseur Charles Laughton, 1955 au sacrifice sentimental de Rick dans Casablanca Michael Curtiz, 1942, les chefs dâĆuvre du SeptiĂšme Art renferment plusieurs niveaux de lecture permettant des redĂ©couvertes successives. Le cĂ©lĂšbre Douze hommes en colĂšre Sidney Lumet, 1957 est un exemple particuliĂšrement intĂ©ressant de cette dynamique. Car au-delĂ de lâhistoire portĂ©e Ă lâĂ©cran, ce rĂ©cit offre une plongĂ©e dans la psychologie de douze personnes animĂ©es par des motivations propres. Plusieurs processus psychologiques interviennent ainsi dans cette adaptation signĂ©e Sidney Lumet, quâil sâagisse de la polarisation du groupe, de la pression des pairs, du processus dâinfluence, du conformisme, de la catĂ©gorisation, des stĂ©rĂ©otypes ou des prĂ©jugĂ©s. 1. Douze hommes bien diffĂ©rents Avant dâentrer dans le vif du sujet, il convient dâavoir une idĂ©e claire de qui sont les protagonistes. Car le scĂ©nariste Reginald Rose aura pris la peine de dĂ©finir les caractĂ©ristiques principales de ses douze jurĂ©s en Ă©crivant son histoire. Douze hommes en colĂšre fut originellement Ă©crit pour la tĂ©lĂ©vision et diffusĂ© le 20 septembre 1954 par la chaĂźne CBS dans le cadre de la septiĂšme saison de la sĂ©rie Studio One. Cette version originale Ă©crite par Reginald Rose, rĂ©alisĂ©e par Franklin J. Schaffner et gratifiĂ©e de trois Emmy Awards est aujourdâhui accessible en ligne. Devant le succĂšs de lâĂ©pisode, le rĂ©cit fut adaptĂ© pour le théùtre dĂšs 1955 puis, pour le cinĂ©ma en 1957. Dans la version destinĂ©e au théùtre, lâauteur dresse un portrait plus approfondi des diffĂ©rents protagonistes 2. De 1954 Ă 2020, lâĂ©volution dâune sociĂ©té⊠Il est intĂ©ressant de souligner que, dans les versions originales du rĂ©cit, tous les jurĂ©s sont des hommes blancs. Dâun point de vue strictement juridique, la chose est tout Ă fait comprĂ©hensible puisquâil faudra attendre 1986 pour que la Cour SuprĂȘme amĂ©ricaine accepte la prĂ©sence de jurĂ©s de couleurs. Quant aux femmes, il faudra attendre 1994 pour les voir intĂ©grer les jurys. Notons nĂ©anmoins quâune diversitĂ© sociale, professionnelle et ethnique le jurĂ© n°11 est originaire dâEurope de lâEst est tout de mĂȘme reprĂ©sentĂ©e au sein de lâassemblĂ©e. En un sens, cette particularitĂ© donne sa force au rĂ©cit, car cela permet une rĂ©invention constante des enjeux. Ainsi, il existe aujourdâhui sept versions de Douze hommes en colĂšre ! Outre le tĂ©lĂ©film original de Franklin J. Schaffner 1954 et la version cinĂ©ma de Sidney Lumet 1957, on compte encore un remake rĂ©alisĂ© par rien moins que William Friedkin en 1997. Une nouvelle adaptation a Ă©galement Ă©tĂ© tournĂ©e pour la tĂ©lĂ©vision allemande sous le nom de Die zwölf Geschworenen GĂŒnter GrĂ€wert, 1963 et il existe aussi une version indienne nommĂ©e Ek Ruka Hua Faisla Basu Chatterjee, 1986. Plus rĂ©cemment encore est sortie une version russe sobrement intitulĂ©e 12 Nikita Mikhalkov, 2007, tandis quâen 2014, câĂ©tait au tour de la Chine de livrer sa propre adaptation avec 12 Citizens Xu Ang, 2014. Par consĂ©quent, outre certains Ă©lĂ©ments propres Ă lâintrigue, Douze hommes en colĂšre est un rĂ©cit susceptible dâĂȘtre rĂ©inventĂ© de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. La version de 1997 comportait ainsi un casting multi-ethnique et comptait en son sein des artistes afro-amĂ©ricains tels que Courtney B. Vance, Ossie Davis, Dorian Harewood et Mykelti Williamson. On pouvait encore y voir Edward James Olmos, mexicain dâorigine, ainsi que les deux italo-amĂ©ricains James Gandolfini et Tony Danza, tandis que la juge Ă©tait incarnĂ©e par Mary McDonnell. 3. La psychologie dans Douze hommes en colĂšre 1957 La multiplicitĂ© des personnages, chacun chargĂ©s de leur passif, de leurs blessures et de leurs origines, donne Ă Douze hommes en colĂšre une teinte particuliĂšrement intĂ©ressante. Car dâun point de vue psychologique, on y trouve toutes sortes dâĂ©lĂ©ments constitutifs de la richesse du rĂ©cit. Bien que tous les hommes ne soient pas en colĂšre » comme le laisse entendre le titre de lâhistoire imaginĂ©e par Reginald Rose, on trouve plusieurs Ă©lĂ©ments particuliĂšrement intĂ©ressants dans cette histoire. a. Conformisme En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les individus se conforment lorsquâils considĂšrent que lâinterprĂ©tation dâautrui face Ă une situation ambiguĂ« est meilleure ou, du moins, plus valide que la leur. Le tout Ă©tant renforcĂ© par la volontĂ© de paraĂźtre politiquement correct », par la contrainte du temps ou simplement par la prĂ©sence dâautres personnes pouvant apparaĂźtre comme Ă©tant expertes dans tel ou tel domaine. Ainsi, cet Ă©lĂ©ment transparaĂźt Ă de nombreuses reprises dans le film de Sidney Lumet. DĂšs le dĂ©part, lorsquâil sâagira de voter Ă main levĂ©e pour rendre un verdict, plusieurs jurĂ©s tarderont Ă se prononcer, afin dâobserver leurs condisciples. On observe ainsi ici une influence normative â et, dans certains cas Ă©galement, informationnelle. Remarquons Ă©galement que le dernier Ă lever la main â le jurĂ© n°9 Joseph Sweeney â sera Ă©galement le premier Ă changer son vote, crĂ©ant ainsi une symĂ©trie dans lâaction. Cela sera bien entendu renforcĂ© par divers personnages, comme le jurĂ© n°7 Jack Warden, bien dĂ©cidĂ© Ă en finir rapidement afin de profiter dâun match de baseball. Comme nous le verrons plus tard concernant le jurĂ© n°3 Lee J. Cobb, le jurĂ© n°7 Jack Warden recourra frĂ©quemment au sarcasme, par exemple lorsquâil sifflera Ă©hontĂ©ment Dance of the Cuckoos » â autrement connue comme la musique de Laurel & Hardy â au moment de la reconstitution du tĂ©moignage du vieillard boiteux. Il sera rejoint en cela par le jurĂ© n°10 Ed Begley qui dĂ©clarera au moment du vote secret IdĂ©e gĂ©niale ! On va peut-ĂȘtre Ă©lire le petit sĂ©nateur ». Dans un premier temps, le jurĂ© n°7 tentera de maintenir le vote initial afin de sâen retourner rapidement Ă ses occupations. Ce dernier dĂ©cidera finalement de se rallier Ă la majoritĂ© afin dâen finir, tandis que dâautres choisiront de le suivre Ă cause de la pression sociale ou simplement par faiblesse. Le cas de ce jurĂ© n°7 est assez intĂ©ressant car, une fois la majoritĂ© en faveur du non coupable », il changera son vote avec pour seule argumentation Ben, je pense juste quâil est pas coupable ». Ajoutons Ă©galement quâĂ partir dâun certain moment, il commencera Ă regarder sa montre de façon rĂ©guliĂšre, espĂ©rant encore parvenir Ă se rendre Ă son match de baseball â câest donc ici la contrainte du temps qui influencera son jugement â ou ira accrocher sa veste au porte manteau voyant que la sĂ©ance sâĂ©ternise. Sâil exprimera son changement dâavis de façon superficielle, on comprendra tout de mĂȘme que ses raisons tiendront plus de lâĂ©goĂŻsme que de la profonde conviction. Le jurĂ© n°9, quant Ă lui, nous permet dâopĂ©rer la transition du conformisme vers lâinfluence minoritaire. b. Influence minoritaire Tandis que onze jurĂ©s sur douze dĂ©cideront de prononcer un verdict expĂ©ditif, le jurĂ© n°8 Henry Fonda choisira de proposer un vote secret, dĂ©samorçant ainsi le principe du conformisme. On voit par lĂ -mĂȘme comment lâanonymat permet aux individus de se dĂ©douaner de leur responsabilitĂ©. Avant cela, on pourra dâailleurs lire la stupĂ©faction sur le visage des autres jurĂ©s lorsque ceux-ci dĂ©couvriront la non-conformitĂ© de son vote. Ce faisant, il permettra au jurĂ© n°9 Joseph Sweeney de changer son vote cela montre que ce dernier suivait lui aussi le mouvement sans trop oser sâaffirmer. Plus tard, comme nous lâavons dĂ©jĂ mentionnĂ©, il parviendra Ă convaincre le jurĂ© n°7 Jack Warden de changer son vote pour des raisons superficielles â suivre le mouvement et sâen retourner Ă son match de baseball â, tandis que le jurĂ© n°4 Marshall lui emboĂźtera le pas, convaincu par de nouveaux Ă©lĂ©ments â la marque des lunettes sur le nez dâun tĂ©moin. Nous en revenons finalement Ă la description offerte dans la version destinĂ©e au théùtre et parue en 1955 le jurĂ© n°7 est trĂšs rapide lorsquâil sâagit de se faire une opinion sur des choses dont il ne connait rien », et le jurĂ© n°4 ne sâintĂ©resse quâaux faits et est consternĂ© par le comportement des autres ». Ajoutons cependant, en ce qui concerne le jurĂ© n°4, que sâil ne sâintĂ©resse quâaux faits, il nâenvisage pas une seconde avoir omis certains dĂ©tails. Il dira dâailleurs, avant de changer son vote Jâavoue que je nây avais pas pensĂ© ». En somme, lâinfluence minoritaire se marque dans le comportement du jurĂ© n°8 Henry Fonda. Comme le souligne Lawrence T. White, Professeur Ă©mĂ©rite de psychologie au Benoit College Wisconsin Fonda prĂ©sente ses arguments avec confiance, de façon consistante et en se distinguant de la masse. Parce quâil refuse de capituler face Ă la majoritĂ©, il crĂ©e une perturbation. Par consĂ©quent, il pousse la majoritĂ© Ă sâinterroger sur la justesse de ses arguments et celle-ci va peu Ă peu se ranger du cĂŽtĂ© de la minoritĂ© ». c. Pression des pairs En menant peu Ă peu dâautres jurĂ©s Ă se rallier Ă son opinion, le jurĂ© n°8 donnera lieu Ă un effet boule de neige. Tandis que cela crĂ©era une faille dans lâillusion dâunanimitĂ©, les autres jurĂ©s ressentiront de moins en moins la pression sociale et donc lâenvie de se conformer Ă lâopinion gĂ©nĂ©rale. DĂšs lors, on observe dans un cas comme dans lâautre lâinfluence de la pression des pairs dans un premier temps lorsque tout le monde se conformera pour donner un jugement expĂ©ditif, et dans un second temps lorsque le jurĂ© n°8 renversera doucement la majoritĂ© dans lâautre sens. Ce phĂ©nomĂšne Ă©tait dĂ©jĂ visible dans lâexpĂ©rience de Stanley Milgram plus les sujets obĂ©issent Ă la source dâautoritĂ©, plus la majoritĂ© tend Ă sây conformer. Mais, Ă lâinverse, si certains refusent de se conformer, ils entraĂźnent dâautres personnes dans leur sillage. d. PrĂ©jugĂ©s et stĂ©rĂ©otypes LâĂ©lĂ©ment le plus visible dans Douze hommes en colĂšre reste lâinfluence des prĂ©jugĂ©s et des stĂ©rĂ©otypes sur lâopinion des jurĂ©s. DâentrĂ©e de jeu, le jurĂ© n°10 Ed Begley dĂ©clarera Jâai vĂ©cu parmi eux bien des annĂ©es. On ne peut croire un mot de ce que racontent ces gosses-là ». Il nâest pas impossible que cette dĂ©claration ait menĂ© les jurĂ©s 5 et 11 â respectivement issus lâun des bas quartiers et lâautre de lâimmigration â Ă se conformer au premier vote, partant du principe quâaucune importance ne serait accordĂ©e Ă leur opinion. Dâautres jurĂ©s partageront bien entendu ce type dâopinion, mĂȘme si le n°10 exprimera les siennes plus explicitement. Plus tard encore, celui-ci dĂ©clarera Les gosses qui sortent de lĂ -dedans, câest de la racaille », avant dâentrer vers la fin du rĂ©cit dans une longue tirade qui lui vaudra dâĂȘtre ostracisĂ© par les autres jurĂ©s Jâavoue que je ne vous comprends pas. Je parle de ces dĂ©tails stupides qui vous occupent et qui ne veulent rien dire ! Vous Ă©tiez Ă lâaudience, moi aussi jây Ă©tais. Vous ne croyez tout de mĂȘme pas Ă cette version Ă dormir debout, que ce soit lâhistoire du cinĂ©ma ou celle du couteau tombĂ© de sa poche !? Cette racaille ne fait que mentir et a le mensonge dans la peau. Je nâai pas besoin de redire ici ce que vous savez ce gosse ignore ce que peut ĂȘtre la vĂ©ritĂ© ! Dans son milieu on tue sans raison, simplement parce quâil y a une tĂȘte qui vous dĂ©plaĂźt, câest ainsi. On sâenivre et on se saoule dans ce milieu-lĂ , et un beau jour, pan, on Ă©tend quelquâun dans le ruisseau ! Et on ne peut mĂȘme pas le leur reprocher, ils sont comme ça, voyez ce que je veux dire ?! Ce sont des brutes, vous faites fausse route la vie humaine nâa pas pour eux la mĂȘme valeur que pour nous. Ils se battent, chez eux tout est prĂ©texte Ă bagarre, ça nâarrĂȘte pas si un type se fait descendre, tant pis ça leur est Ă©gal. Oh bien sĂ»r, ils ne sont pas tous aussi mauvais, et je suis le premier qui ose dire ça ! Jâen ai connu un ou deux de bien, mais câest lâexception. Voyez bien ce que je veux dire ? La plupart sont capables de tout, ils nâont aucune conscience. Et bien quâest-ce qui se passe ici ? Mais enfin, laissez-moi vous dire⊠je⊠Vous vous trompez messieurs et lourdement. Je connais ces gens-lĂ le gosse est un sale petit menteur ! Mais⊠écoutez-moi. Mais je les connais, câest un milieu pourri, je le sais⊠Mais enfin messieurs, enfin que se passe-t-il ici ? Mais Ă©coutez-moi ! Mais enfin, ce gosse que nous jugeons est pourri, vous le savez comme moi, non ? Câest un ĂȘtre dangereux, ils sont tous dangereux ». Il est intĂ©ressant de noter que suite Ă ce monologue, tandis que tous les autres lui tourneront le dos, le jurĂ© n°10 ajoutera Mais enfin, Ă©coutez-moi ! ». Suite Ă quoi, le n°4 lui rĂ©torquera Je vous ai Ă©coutĂ©. Maintenant, asseyez-vous ! ». CâĂ©tait pourtant ce dernier qui, plus tĂŽt, dĂ©clarait Il est nĂ© dans un quartier pauvre. Comme tous les criminels ». Ainsi, on notera que cette longue tirade du jurĂ© n°10 agira pour les autres comme une prise de conscience. Tandis que leur dĂ©sapprobation aura un effet rĂ©flĂ©chissant pour celui-ci. Quoi quâil en soit, on observe que lâorigine sociale et ethnique semblaient jusquâici dĂ©terminer le verdict pour la majoritĂ© des jurĂ©s. Cette influence des prĂ©jugĂ©s, quels quâils soient, obscurcira lâavis des jurĂ©s jusquâau dĂ©nouement final, quâil sâagisse du jurĂ© n°3 incapable de concevoir que lâon puisse dĂ©clarer Je vais te tuer » dans un accĂšs de colĂšre, sans mettre cette menace en application, ou du jurĂ© n°4 persuadĂ© que lâaccusĂ© nâaurait pas pu oublier le film quâil avait visionnĂ© au cinĂ©ma malgrĂ© son Ă©tat Ă©motionnel. Outre leurs prĂ©jugĂ©s raciaux, de nombreux jurĂ©s ne parviendront donc que difficilement Ă abandonner leurs prĂ©conceptions pour affronter la rĂ©alitĂ© des faits. Le jurĂ© n°8 veillera dâailleurs Ă le rappeler en dĂ©clarant OĂč quâon les rencontre, les prĂ©jugĂ©s masquent toujours la vĂ©ritĂ© ». Sur ce point, il est assez intĂ©ressant de noter la diffĂ©rence entre lâadaptation de 1957 et celle de 1997. Marie-Christine Michaud, professeure dâĂ©tudes nord-amĂ©ricaines Ă lâUniversitĂ© de Bretagne Sud Lorient, Ă©crivait en 2010 Dans la premiĂšre version, plus fidĂšle au scĂ©nario de Reginald Rose, les non-Blancs et aussi les femmes sont exclus, et câest surtout sur le jeu de la reprĂ©sentation des classes sociales que sâappuie le metteur en scĂšne pour montrer sa rĂ©serve face au dysfonctionnement de la sociĂ©tĂ© ; ainsi, chacune des deux adaptations insiste Ă sa maniĂšre sur les disparitĂ©s, les inĂ©galitĂ©s, voire les conflits, qui rĂ©gissent la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine ». e. PensĂ©e de groupe et prĂ©sence de leaders En temps normal, la situation prĂ©sentĂ©e dans Douze hommes en colĂšre devrait mener le groupe vers une rĂ©flexion commune, un phĂ©nomĂšne de pensĂ©e de groupe. Pour ne citer quâun exemple, la majoritĂ©s des jurĂ©s, quelles que soient leurs opinions, sont persuadĂ©s du bien-fondĂ© de leur verdict originel et partagent certaines vues stĂ©rĂ©otypĂ©es, notamment concernant lâaccusĂ© Les gosses qui sortent de lĂ -dedans câest de la racaille » et le jurĂ© n°8 PrĂ©dicateur Ă la voix dâor ». Dans un premier temps, ce phĂ©nomĂšne sera entravĂ© par le conformisme, lâillusion dâunanimitĂ© lors du premier vote, la timiditĂ© ou lâautocensure de certains. Quoi quâil en soit, on trouve ici plusieurs Ă©lĂ©ments associĂ©s Ă la pensĂ©e de groupe, Ă commencer par lâillusion de lâinvulnĂ©rabilitĂ©. Au cours du premier vote, le groupe se croira intouchable au point de se braquer face Ă lâattitude dissidente du jurĂ© n°8 Henry Fonda. La croyance en la supĂ©rioritĂ© morale et intellectuelle du groupe transparaĂźt Ă©galement ici, tandis que plusieurs jurĂ©s laisseront leur histoire personnelle ou leurs prĂ©conceptions influencer leur jugement sans quâaucune prise de conscience ne semble se manifester. Dans la joute verbale que se livreront certains â comme nous le verrons par la suite â on verra encore intervenir le principe de la transformation de lâopposant en stĂ©rĂ©otype PrĂ©dicateur Ă la voix dâor ». Nous avons Ă©galement dĂ©jĂ traitĂ© de la pression, de la conformitĂ©, de lâautocensure et de lâillusion de lâunanimitĂ©, Ă©galement prĂ©sentes ici. Divers jurĂ©s comme le n°3 Lee J. Cobb, le n°7 Jack Warden et le n°10 Ed Begley se transformeront enfin en gardiens de la pensĂ©e, veillant ainsi Ă contrer toute dissidence morale. Ce phĂ©nomĂšne de pensĂ©e de groupe sera entravĂ© ou, Ă lâinverse, favorisĂ© par plusieurs fortes personnalitĂ©s, notamment les jurĂ©s n°1 Martin Balsam, n°3 Lee J. Cobb et n°8 Henry Fonda. Nous ne nous intĂ©resserons quâaux deux derniers protagonistes citĂ©s, le jurĂ© n°1 Ă©tant surtout leader de par son rĂŽle de prĂ©sident du jury. On notera dâailleurs que son autoritĂ© nâest finalement quâadministrative, car il peinera Ă sâimposer au point de proposer Ă quelquâun dâautre de prendre sa place. Sa dĂ©claration Que voulez-vous que je fasse ? » tĂ©moigne quant Ă elle de son incapacitĂ© Ă sâimposer au sein du groupe. JurĂ© n°3 Lee J. Cobb Comme on peut le lire dans le Dramatis Personae de la version théùtrale, dans lequel on trouve une prĂ©sentation succincte des protagonistes, le jurĂ© n°3 est dĂ©crit comme Un homme trĂšs fort et Ă©nergique aux opinions arrĂȘtĂ©es et chez qui on peut dĂ©tecter quelques traces de sadisme. Câest Ă©galement quelquâun qui nâa pas le sens de lâhumour et fait preuve dâintolĂ©rance envers les opinions divergentes de la sienne. Il a lâhabitude de forcer ses vues et ses opinions aux autres ». Le jurĂ© n°3 se soucie donc peu de lâimage quâil donne aux autres, au point de se montrer grossier par moments. Ainsi, il joue souvent de sarcasmes, exprimant alors des opinions offensantes sous couvert dâironie. Il qualifiera dĂšs lors le jurĂ© n°8 de PrĂ©dicateur Ă la voix dâor Slick Preacher » et moquera Ă©galement le jurĂ© n°5 avec lâexpression Ăa me fend le cĆur » Tear Oneâs Heart Out. Comme le souligne Rong Chen, professeur de linguistique Ă la California State University Si lâon part du principe que lâaccusĂ© est coupable du meurtre de son pĂšre, on peut comprendre lâattitude du jurĂ© n°3 envers celui-ci. Mais ses attaques adressĂ©es aux autres jurĂ©s ont quelque chose de perturbant il semble voir la dĂ©libĂ©ration comme une bataille dâegos dans laquelle, pour gagner, tous les coups sont permis, mĂȘme offenser les autres ». Le jurĂ© n°4 lui fera dâailleurs remarquer Inutile dâĂȘtre dĂ©sagrĂ©able. Ce nâest pas un concours ». Notons quâĂ divers moments, les jurĂ©s 7 et 10 verront Ă©galement la dĂ©libĂ©ration comme une bataille dâegos pour leurs raisons personnelles le premier Jack Warden car il souhaite accĂ©lĂ©rer la procĂ©dure pour sâen retourner Ă ses affaires et acceptera difficilement de voir la discussion sâĂ©terniser, le second Ed Begley car il cherche la premiĂšre occasion de contrarier » comme lâindique le Dramatis Personae de lâadaptation théùtrale. Chen souligne encore que lâattitude du jurĂ© n°3 peut aller jusquâĂ lâauto-humiliation, comme on peut notamment lâobserver Ă la fin du rĂ©cit, lorsque tous les autres jurĂ©s auront changĂ© leur vote tandis que le n°3 saisira le bras du jurĂ© n°4 en le suppliant de rester de son cĂŽtĂ©. Le jurĂ© n°3 est ainsi lâun des personnages les plus complexes du rĂ©cit, passant du statut de leader Ă celui de paria, tandis quâil adoptera une attitude passive-agressive nourrie de sarcasmes et dâauto-humiliation pour avoir le dernier mot. De plus, en commençant Ă hurler suite au vote secret qui verra le jurĂ© n°9 Joseph Sweeney pencher vers la non-culpabilitĂ© de lâaccusĂ©, celui-ci perdra sa position dominante, tĂ©moignant de son dĂ©sespoir et de sa fragilitĂ© Ă©motionnelle. Ce faisant, il dĂ©tĂ©riorera cette image de leader auprĂšs des autres jurĂ©s, participant par lĂ -mĂȘme Ă sa propre disgrĂące. Si, dans un premier temps, le jurĂ© n°3 insistera sur ses mĂ©rites personnels, fier de sâĂȘtre hissĂ© seul dans la sociĂ©tĂ©, il apparaĂźtra rapidement que cela cache dâĂ©normes incertitudes. La chose transparaĂźtra dans son rapport Ă son fils dans les premiĂšres minutes du long-mĂ©trage, il insistera sur sa fiertĂ© Ă avoir Ă©levĂ© un dur, soulignant le fait que son enfant lâa cognĂ© Ă lâĂąge de seize ans. ArrivĂ© au bout de la dĂ©libĂ©ration, il fondra en larmes, dĂ©chirant la photographie de son fils. Ainsi, dans ses mĂ©canismes de dĂ©fense, outre la formation rĂ©actionnelle qui le mĂšne Ă se montrer dominateur pour masquer ses incertitudes, on voit que le jurĂ© n°3 opĂšre un dĂ©placement. En dĂ©versant sa colĂšre sur lâaccusĂ©, il exprime ainsi sa frustration quant Ă son propre fils quâil nâa plus vu depuis plusieurs annĂ©es. En somme, les manquements Ă lâĂ©ducation dâun fils sont responsables du meurtre qui aura menĂ© les jurĂ©s Ă se rĂ©unir, et au-delĂ de ce dĂ©placement, il nâest pas impossible que le procĂšs permette au jurĂ© n°3 de constater ses propres manquements en tant que pĂšre. Pour terminer ce point, nous citerons lâĂ©tude de Bruce L. Hay intitulĂ©e Charades Religious Allegory in 12 Angry Men » parue en avril 2007 dans le Chicago-Kent Law Review. Sur cinquante pages, lâauteur relate toutes les allĂ©gories religieuses quâil aura dĂ©couvert dans ce rĂ©cit, argumentant Les allusions visuelles et narratives Ă la Bible sont trop nombreuses et trop systĂ©matiques pour ĂȘtre lĂ par accident ». Concernant le jurĂ© n°3, lâidĂ©e de lâauteur est que celui-ci sâapparenterait au personnage dâAbraham prĂȘt Ă sacrifier son fils Isaac, tandis quâun ange viendra empĂȘcher lâexĂ©cution au dernier moment. Ainsi, en se plaçant de ce point de vue, il est intĂ©ressant de noter que, en cherchant jusquâau dernier moment Ă condamner Ă mort lâaccusĂ© quâil perçoit comme son propre fils, le jurĂ© n°3 subit sa mise Ă lâĂ©preuve. JurĂ© n°8 Henry Fonda Ă lâinverse du jurĂ© n°3 qui cherchera sans arrĂȘt Ă affirmer sa personnalitĂ©, le jurĂ© n°8 cherchera quant Ă lui Ă ne baser ses opinions que sur des preuves et des Ă©lĂ©ments tangibles. Dâune certaine façon, le jurĂ© n°8 est un peu lâopposĂ© de son homologue. En effet, il se soucie peu de sacrifier son image personnelle pour voir triompher la vĂ©ritĂ©, et cherchera Ă tout prix Ă servir celle-ci. Il Ă©vitera ainsi de cĂ©der aux stĂ©rĂ©otypes, Ă la haine, Ă la colĂšre ou aux prĂ©jugĂ©s et nâexprimera que de la comprĂ©hension pour lâaccusĂ©. Mais surtout, il aura lâintelligence de manifester son dĂ©saccord sans sâopposer frontalement Ă ses confrĂšres, indiquant simplement quâil veut discuter. Ce qui permettra aux autres jurĂ©s de changer leur vote avec plus de facilitĂ©, sans avoir lâair de faire preuve dâhypocrisie. Mais surtout, le jurĂ© n°8 saura analyser les faits selon un certain prisme, accordant Ă lâaccusĂ© le bĂ©nĂ©fice du doute et menant par lĂ -mĂȘme les autres jurĂ©s Ă se joindre Ă lui. En somme, comme le souligne Rong Chen, il fait plus que le travail dâun jurĂ© en repassant tous les Ă©lĂ©ments du procĂšs en revue lĂ oĂč lâaccusĂ© bĂ©nĂ©ficiait dâun avocat dĂ©signĂ© dâoffice peu investi dans cette affaire, le jurĂ© n°8 dĂ©cidera de devenir cet avocat. Dâune certaine façon, il ira jusquâĂ lâavouer lui-mĂȘme Je me mettais Ă la place du gamin. Jâaurais demandĂ© un autre avocat ». Il est intĂ©ressant de souligner le fait que le jurĂ© n°8 Henry Fonda constitue finalement une forme de personnification de la justice mĂ©taphoriquement aveugle ! Il ne tient ainsi pas compte de la race ou de lâorigine sociale de lâaccusĂ© et ne cherche quâĂ sâen remettre aux faits et Ă rendre un jugement objectif. Il constitue par lĂ -mĂȘme, comme le souligne la professeure Marie-Christine Michaud, un garde-fou contre les dysfonctionnements du systĂšme judiciaire amĂ©ricain ». Dans cette logique, il devra essuyer les critiques de tous les autres jurĂ©s, Ă commencer par le jurĂ© n°10 Ed Begley qui, aprĂšs le premier vote, sâĂ©criera Bon sang, câest toujours comme ça ». Pour enfoncer le clou, le jurĂ© n°1 Martin Balsam adoptera un ton condescendant en lui demandant Dites-nous ce qui vous gĂȘne et nous pourrons vous expliquer ce qui vous semble obscur ». Sans parler du jurĂ© n°7 Jack Warden, pressĂ© de sâen retourner Ă son match de baseball et qui sâexclamera Faut sâarrĂȘter de parler ou on nâen sortira pas ». Pourtant, sâil sera dans un premier temps vu comme un frein, il deviendra rapidement un moteur, en permettant Ă dâautres jurĂ©s de se dĂ©faire du phĂ©nomĂšne de groupe pour exprimer leur opinion et faire avancer lâenquĂȘte. Cette Ă©mulation permettra aux jurĂ©s les plus discrets qui, Ă lâorigine, sâĂ©taient ralliĂ©s Ă la majoritĂ©, dâamener de nouveaux Ă©lĂ©ments persuasifs le jurĂ© n°2 John Fiedler en argumentant sur la perte de self-control en cas de dispute ; le jurĂ© n°5 Jack Klugman en montrant comment utiliser un couteau dans une bagarre de rue ; le jurĂ© n°6 Edward Binns en confirmant le bruit assourdissant que font les trains aĂ©riens lorsquâils passent Ă proximitĂ© dâun appartement ; le jurĂ© n°9 Joseph Sweeney en dĂ©construisant le tĂ©moignage du vieillard avec lâargument selon lequel Il est triste de nâĂȘtre rien » Itâs a sad thing to be nothing ou en convaincant le jurĂ© n°4 E. G. Marshall par lâargument des marques de lunettes sur le nez ; le jurĂ© n°11 George Voskovec en se faisant voix de la raison Ă plusieurs reprises, notamment en exprimant Nous nâavons rien Ă gagner ou Ă perdre en rendant notre verdict. Câest en partie cela qui fait notre force. Nous ne devrions pas en faire une affaire personnelle ». Ce dernier personnage est dâailleurs assez intĂ©ressant. Car Ă©tant issu de lâimmigration, il porte un regard extĂ©rieur et juste sur le systĂšme judiciaire amĂ©ricain. Mais plus encore, comme la justice, le jurĂ© n°8 se veut incorruptible il refusera le Chewing-gum proposĂ© par le jurĂ© n°7 au dĂ©but de la dĂ©libĂ©ration, comme une façon de ne pas se laisser influencer. On peut y voir une anticipation du dĂ©saccord Ă venir entre les jurĂ©s. On notera cependant quâil acceptera plus tard la pastille de menthe offerte par le jurĂ© n°2, comme sâil essayait cette fois-ci dâamener ce dernier Ă se rallier Ă lui. Dâailleurs, suite Ă cela, celui-ci restera postĂ© derriĂšre le jurĂ© n°8 durant plus de cinq minutes, comme une façon dâimprimer le changement de camp dans lâimage. Soulignons encore que le jurĂ© n°8 est habillĂ© de blanc, symbole dâinnocence, de puretĂ© et de perfection. Si lâon en revient Ă lâallĂ©gorie biblique dĂ©fendue par Bruce L. Hay et citĂ©e au point prĂ©cĂ©dent, on peut encore ajouter que le jurĂ© n°8 Henry Fonda sâapparenterait Ă une crĂ©ature cĂ©leste, aidĂ©e dans son entreprise par lâange/jurĂ© n°9 Joseph Sweeney. De façon amusante, au moment oĂč le jurĂ© n°9 changera son vote, le jurĂ© n°7 sâexclamera dans la version originale Another champ flaps his wings » Un autre champion bat des ailes. Dâune certaine maniĂšre, au moment oĂč le sacrifice de lâaccusĂ© allait ĂȘtre rendu, un ange est apparu pour empĂȘcher la sentence voulue par le jurĂ© n°3/Abraham Lee J. Cobb. 4. Davis & McCardle Il est intĂ©ressant de noter que les jurĂ©s n°8 et 9 sont les seuls dont le spectateur connaĂźtra le nom. En effet, aprĂšs la sĂ©ance de dĂ©libĂ©ration, les jurĂ©s sortiront dans la rue pour sâen retourner Ă leur existence. Ă ce moment, le jurĂ© n°9 sâapprochera du n°8 pour lui demander son nom. Davis et McCardle deviendront ainsi les seuls protagonistes Ă sortir de lâanonymat voulu par la fonction de jurĂ©. Cela aura probablement pour but de manifester le lien nĂ© aprĂšs cette expĂ©rience sociale, psychologique et mĂȘme philosophique. En obtenant un nom, ils reprennent leur condition humaine. Ils ne reprĂ©sentent plus la justice aveugle et anonyme mais redeviennent de simples hommes prĂȘts Ă se perdre dans la multitude des villes. Deux visages sont donc sortis de la foule pour ensuite y replonger. Leur humanisme aura triomphĂ© et, avec eux, le systĂšme juridique. 5. Quelques mots sur le film ! Câest dans une salle de projection privĂ©e de New York quâHenry Fonda vit la premiĂšre version de Douze hommes en colĂšre Franklin J. Schaffner, 1954. ImpressionnĂ© par la qualitĂ© du rĂ©cit et le personnage du jurĂ© n°8 â qui nâĂ©tait pas sans rappeler certains de ses anciens rĂŽles comme dans Les Raisins de la colĂšre ou Le Faux Coupable â il dĂ©cida dâen produire lâadaptation cinĂ©matographique. Le projet avait quelque chose de dĂ©risoirement ambitieux. Car Ă lâĂ©poque, les studios sâĂ©taient engagĂ©s dans une course Ă la dĂ©mesure la mĂȘme annĂ©e sortaient Le Pont de la riviĂšre KwaĂŻ et LâHomme qui rĂ©trĂ©cit, tandis que lâesthĂ©tique, le propos et la construction de Douze hommes en colĂšre Ă©taient tout Ă fait modestes. Câest notamment grĂące Ă son expĂ©rience pour la tĂ©lĂ©vision que Sidney Lumet fut choisi, alors quâil nâavait pourtant jamais tournĂ© pour le cinĂ©ma. Quitte Ă rĂ©aliser un film en huis-clos, il semblait cohĂ©rent dâengager un rĂ©alisateur capable dâĂ©voluer dans un dĂ©cor restreint similaire Ă ce qui se faisait en tĂ©lĂ©vision. En tant que producteur, Henry Fonda choisit donc celui-ci, soutenu dans cette idĂ©e par Reginald Rose qui avait dĂ©jĂ collaborĂ© Ă quatre reprises avec le rĂ©alisateur. Mais pour ne pas que son film sâapparente Ă une piĂšce de théùtre filmĂ©e, celui-ci dĂ» ĂȘtre imaginatif dans sa construction, se refusant le droit Ă lâerreur. Ainsi, il prĂ©para largement le travail en amont, notamment en rĂ©pĂ©tant le texte avec les comĂ©diens durant deux semaines. Au terme de ce dĂ©lai, ceux-ci connaissaient leurs dialogues, leur positionnement dans la piĂšce et mesuraient clairement comment Ă©voluer au sein du dĂ©cor. En parallĂšle, Lumet et son chef opĂ©rateur Robert Kaufman Ă©tablirent les divers plans destinĂ©s Ă constituer le film. Ainsi, une fois le tournage commencĂ©, il ne fallut que dix-sept jours Ă lâĂ©quipe pour boucler la rĂ©alisation de Douze hommes en colĂšre ! Mais surtout, Sidney Lumet aura lâidĂ©e dâalterner entre des objectifs Ă longue et courte focale afin de donner lâimpression que le dĂ©cor se rapprochait et de crĂ©er un sentiment de claustrophobie Ă mesure de lâavancĂ©e du film. Principe souvent renforcĂ© par divers gros plans sur le visage des protagonistes et la tension qui en dĂ©coule. Ce choix permettait Ă©galement de renforcer lâaction en fonction du changement dâavis des jurĂ©s, de la promiscuitĂ© ou de la chaleur caniculaire Ă laquelle les protagonistes Ă©taient soumis. Ă ce sujet â et pour lâanecdote â on remarquera que le ventilateur ne se mettra Ă fonctionner quâau moment oĂč les jurĂ©s tomberont Ă Ă©galitĂ© six votes Coupableâ contre six votes Non coupableâ. Comme pour manifester le soulagement du jurĂ© n°8 et symboliser le vent nouveau qui souffle au sein de la salle de dĂ©libĂ©ration. Mais le plus intĂ©ressant est encore la position de la camĂ©ra dâun bout Ă lâautre du film ! Le rĂ©alisateur sâest lui-mĂȘme expliquĂ© sur ce point Jâai tournĂ© le premier tiers de 12 hommes en colĂšre au-dessus du niveau des yeux des personnages. Le deuxiĂšme tiers Ă hauteur des yeux et le dernier tiers en dessous du niveau des yeux. Ainsi, vers la fin, on commençait Ă voir le plafond de la piĂšce. Les murs se rapprochaient, et le plafond semblait sâabaisser. Cette sensation de claustrophobie grandissante mâa permis de maintenir la tension jusquâau dĂ©nouement, pour lequel jâai utilisĂ© un angle large pour enfin laisser le spectateur respirer ». Ajoutons Ă cela le positionnement des personnages dans le cadre en fonction de lâĂ©volution de lâintrigue. La chose est particuliĂšrement flagrante dans la sĂ©quence oĂč le jurĂ© n°10 Ed Begley fera son monologue rempli de stĂ©rĂ©otypes liĂ©s Ă lâorigine sociale et ethnique de lâaccusĂ© avant de se retrouver isolĂ© Ă lâavant plan. En somme chaque plan raconte une histoire, de mĂȘme que chaque plan possĂšde un message sous-jacent. On notera ainsi que câest en retirant ses lunettes que le jurĂ© n°4 E. G. Marshall parviendra Ă voir clair et Ă changer son vote. De mĂȘme que lâostracisme du jurĂ© n°10 suite Ă ses propos stĂ©rĂ©otypĂ©s peut ĂȘtre vu comme un exorcisme celui-ci a ouvert les yeux suite Ă sa confrontation aux autres jurĂ©s. Ă la fin du rĂ©cit les douze hommes sortiront du palais de justice, dĂ©voilant un paysage aĂ©rĂ© et un vaste dĂ©cor en contradiction avec lâĂ©troitesse de la salle de dĂ©libĂ©ration. Les jurĂ©s peuvent enfin respirer et le spectateur avec eux ! Douze hommes en colĂšre constitue par consĂ©quent un grand film, dâune complexitĂ© et dâune intelligence comme on en rencontre rarement. Des enjeux psychologiques Ă la complexitĂ© technique, ce film de Sidney Lumet nâest pas prĂȘt dâavoir rĂ©vĂ©lĂ© toute sa subtilitĂ© ! Bibliographie Reginald Rose, Sherman L. Sergel, Twelve Angry Men A Play in Three Acts, Woodstock Illinois, Dramatic Publishing Company, 1955. Brian Bornstein, What We Can Learn From Twelve Angry Men » », dans Psychology Today [En ligne], 10 fĂ©vrier 2012, Page consultĂ©e le 24 fĂ©vrier 2020, DerniĂšre mise Ă jour non communiquĂ©e. Rong Chen, Conversational implicature and characterisation in Reginald Rosesâ Twelve Angry Men », dans Language and Literature, vol. 5, 1996. Jean-Luc Douin, 12 » une fresque critique sur la Russie dâaujourdâhui », dans Le Monde [En ligne], 9 fĂ©vrier 2010, Page consultĂ©e le 23 juin 2020, DerniĂšre mise Ă jour le 16 fĂ©vrier 2010. Bruce L. Hay, Charades Religious Allegory in 12 Angry Men », dans Chicago-Kent Law Review, vol. 82, n°2, avril 2007. Julie Makinen, Chinese remake of â12 Angry Menâ faced its own legal drama », dans Los Angeles Times [En ligne], 23 septembre 2015, Page consultĂ©e le 23 juin 2020, DerniĂšre mise Ă jour non communiquĂ©e. Marie-Christine Michaud, Les adaptations de Twelve Angry Men deux reprĂ©sentations sociales et raciales » des Ătats-Unis », dans Centre dâInformation et dâĂ©tudes sur les migrations internationales [CIEMI], n°127, 2010/1. 12 Angry Men Notes & Discussion » [En ligne], 3 novembre 2010, Page consultĂ©e le 18 juin 2020, DerniĂšre mise Ă jour non communiquĂ©e. Jay Rosen, Movie Analysis â12 Angry Menâ » [En ligne], Page consultĂ©e le 18 juin, DerniĂšre mise Ă jour non communiquĂ©e. Lawrence T. White, Exercising with Henry Fonda A Social Psychological Analysis of 12 Angry Men » [En ligne], Page consultĂ©e le 18 juin 2020, DerniĂšre mise Ă jour non communiquĂ©e.
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